J’ai recu, mon cher ami, en tems votre Lettre du 26 Novembre. Je
		ne saurois trop vous remercier de votre exactitude et du service
		que vous m’avez rendu en me donnant les Renseignements que je vous
		demandois. Vous avez ajouté aux obligations que je vous avois
		deja, mais vous n’avez pu le faire a l’amitié et aux sentiments
		que je vous ai voués, qui depuis Longtems sont portés au dernier
		periode. J’avois il y a deja 10 jours commencé une Lettre de
		remerciments dans laquelle je faisois des propositions a votre
		grandpere assez avantageuses, mais les bruits de paix qui sont ici
		tres considerables, sont venus a la traverse et ont divisé les
		cointeressés. L’operation projetée a ete presque rompue, de trés
		considerable qu’elle devoit etre, elle se réduit presque a Rien et
		le plan a été entierement renversé étant entierement uniquement
		fondé sur la continuation de la guerre; ainsi il n’y faut plus
		songer. Aujourd’huy il ne s’agit plus que [de] l’éxpédition d’un
		petit batiment de 200 Tonneaux au plus pour Baltimore en Maryland
		et je viens prendre de vous quelques Renseignements. La bonté que
		vous avez eue de repondre aux premiers, m’engage a revenir a la
		charge, c’est peutetre bien indiscret, mais j’espere que l’amitié
		m’excusera.
	
		1º J’ignore si les glaces bouchent Les Rivieres de la Baye de
		chesapeak et s’il seroit prudent de faire a la fin de ce mois cy
		ou dans tout le mois de Janvier une éxpedition pour Baltimore.
	
		2º Surement La maison que vous me recommandez, est de toute
		solidité et a toute l’intelligence nécéssaire, ainsi L’on peut en
		toute confiance Lui adresser un navire et une cargaison, les
		charger de leur Vente, et même Laisser entre leurs mains les fonds
		qui proviendroient de leur Vente, si on n’en trouvoit pas un
		employ assez avantageux ou qu’on ne put pas les employer
		entierement.
	
 
		3º Comme Le Tabac est la production principale du Maryland et
		l’unique objet dont on se propose de charger Le Navire en retour,
		si, comme il y a tout lieu de penser, la paix se fait pendant le
		cours du Voyage, le traité que les etats unis firent en 78 avec la
		france est il exclusif et n’aurait on pas a craindre ou de voir
		confisquer ici et la cargaison et Le Navire, ou du moins mettre au
		plus vil et même bien au dessous du prix d’achat une denree qui
		est actuelement ici au cours de 100 l.t. le quintal. Cette
		question peut etre fort indiscrete, et j’exige de votre amitié de
		n’y pas répondre si elle l’est.
	
		4º On compte former la cargaison en sel, thé, sucre en pains,
		toileries, draperies, cordage, toile a voile, fer en barre,
		verrerie et fayance, eau de vie, et vin, marchandises de modes, et
		soyeries. Si quelques uns de ces articles n’etoient pas propres
		pour chez vous, ou que vous connussiez de meilleurs, vous
		obligeriez sensiblement votre ami de le lui indiquer.
	
		Comme il n’est pas encore decidé si cette expedition se fera
		sous pavillon francois ou ostendois, je ne vous demande pas de
		Lettres de recommandation pour Messieurs Ridley et Pringle.
		J’espere que si je vous la demandois vous ne vous y refuseriez
		point, quoique ce ne fut pas pour moi, ce seroit ou pour M. Alex.
		Nairac chez qui je travaille, ou pour une maison d’Ostende fort
		connue, toutes les deux meritent une entiere confiance tant par
		leur honeteté et leur habileté, que par leurs moyens. D’ailleurs
		ce ne seroit point des Lettres de credit que je demanderois, ce
		seroit de simples Lettres de recommandation ou votre grand pere
		diroit que prenant interet aux personnes au nom de qui elles
		seroient, il les avoit decide a donner La preferance de leurs
		affaires a Messieurs Ridley et Pringle et a leur adresser Leur
		Navire, qu’en consequence il espere que ces Messieurs voudront
		bien prendre soin de leurs interêts et mettre dans la gestion des
		affaires qu’ils seront dans le cas de leur adresser toute
		L’activité et toute l’attention qu’ils pouront. Cette affaire
		n’est pas la seule que M. Nairac sera dans le cas d’adresser a vos
		amis, et jespere quenl’interet que vous prenez a eux, engagera M.
		votre grand pere dans le tems a ne me pas refuser la grace que je
		lui demande. Si cependant, contre mon atente, cela pouvoit lui
		deplaire, et que vous croyez qu’il ne fit la chose qu’a regret je
		me désiste entierement de ma demande, ne desirant que de conserver
		L’amitié dont il a bien voulu me donner des marques si touchantes,
		et la preferant a toute autre chose je sens toute l’indiscretion
		qu’il y a, mon ami, a vous importuner comme je le fais, par des
		demandes continuelles jespere comme je vous l’ai deja dit que
		votre amitié l’excusera, je n’aurois jamais pris la Liberté de le
		faire si la reconnoissance que je dois a M. Alex. Nairac pour tout
		ce qu’il a fait pour moi ne m’y eut engagé. Soyez sur que sans un
		motif aussi puissant je n’aurois jamais agi avec vous comme je me
		vois forcé de le faire. Mais metez vous a ma place, si vous deviez
		tout a quelqu’un ne passeriez vous pas sur presque toutes les
		considerations qui retiennent dans certaines bornes dans la
		société pour lui prouver votre reconnoissance, surtout lorsque la
		personne a qui il s’agit de demander un service vous donne le
		droit de Lappeler mon ami. Jamais je ne fus insdiscret [sic], ce
		défaut est diamétralement opposé a mon caractere, aussi jamais de
		ma vie je ne me suis trouvé dans une position aussi genante que
		celle ou je suis dans ce moment.
	
		Je vous fait mon compliment bien sincere sur la place que vous
		avez obtenue, j’ai cependant deux reproches a vous faire le
		premier de ne m’avoir pas appris votre bonheur sur le champ, le
		second de ne m’avoir pas recommandé de le taire, car rien ne me
		fait plus de plaisir que de savoir mon ami heureux et de le
		publier, vous avez retardé mes plaisirs en ne m’apprenant pas sur
		le champ ce qui vous est arrivé et vous avez pensé me causer bien
		du chargrin en ne me recommandant pas le silence. Je vous aurois
		fait tord sans le savoir, mais une Lettre de mon pere a prevenu
		cet inconvénient.
	
		Vous voila mon ami dans une passe brillante, sachez en user,
		mais n’en abusez pas il n’y a qu’un pas de l’un a l’autre; vous
		avez certainement beaucoup plus d’esprit qu’il ne faut pour vous
		preserver de cet inconvénient. Mais elevé dans l’opulence et
		n’ayant jamais vu que la fortune en face il seroit bien difficile
		que vous en connussiez tout le prix, si comme moi vous eussiez
		langui dans l’indigence et que vous ne Laissiez [l’eussiez?] vue
		que pardierre [par derrière?] vous sauriez bien mieux l’aprécier.
		Un instant un rien peut faire ecrouler l’édifice, quand il ne
		reste que de la fumée cela est bien facheux. Usez, usez de
		l’instant ou elle vous rit; ne négligez rien, poussez la au point
		le plus haut, mais ayez toujours un corps de réserve, jouissez de
		la plus grande partie car l’homme qui ne voit que l’avenir n’est
		qu’un sot, qui sait si nous serons demain? Mais celui qui ne voit
		que le present a autant de tord, menagez vous donc toujours des
		ressources, croyez moi les tems peuvent changer, et s’il ne vous
		restoit que des regrets vous y songeriez, mais trop tard. Excusez
		mon sermon c’est Lamitié qui la dicté, vous trouverez peutetre
		mauvais que je vous donne des avis, vous avez sans contredit tout
		l’avantage sur moi du coté de l’esprit et des connoissances, mais
		vous navez pas été malheureux, et j’aime mieux vous deplaire que
		de songer un jour que je n’aurois pas rempli les devoirs des
		sentiments de l’amitié que vous a voué pour toujours
	
 
	Je vous remercie de votre poudre, l’occasion que javois est
	arrivée ici comme je lui écrivois de vous en debarasser, jen
	cherche une autre, si de votre côté vous en trouvez une vous
	m’obligerez.